Article paru dans le dernier numéro de Tenou’a

Auteure : Brigitte Sion
Journaliste et universitaire
Membre du conseil d’administration et du conseil scientifique de la Maison d’Izieu.

Retour à la Maison d’Izieu

 

Les lecteurs de Tenou’a connaissent bien la Maison des enfants d’Izieu à laquelle nous avons consacré le numéro hors-série de 2019. Comme tous les musées, ce mémorial a dû fermer ses portes, et comme tous, il ne rouvrira qu’en capacité d’accueil restreinte. Parce que nous sommes attachés à cette maison et convaincus de son importance fondamentale, nous voulions vous raconter ce que sont désormais ses défis et comment l’aider.

La Maison d’Izieu va rouvrir ses portes le 4 juillet prochain. Comment accueillera-t-elle le public ? Comment devra-t-elle repenser sa triple mission, mémorielle, pédagogique et scientifique ?

Ce musée-mémorial est dédié aux quarante-quatre enfants et sept moniteurs juifs de la colonie d’Izieu qui furent arrêtés et déportés le 6 avril 1944 sur ordre de Klaus Barbie et dont seule une adulte a survécu. Perché sur une montagne qui surplombe un bras du Rhône dans le département de l’Ain, il accueille environ 30 000 visiteurs par an, dont une bonne moitié de scolaires de la région Rhône-Alpes. Aux collégiens, lycéens et étudiants se joignent aussi des policiers en formation, des juristes, des politiciens, des diplomates et de nombreux visiteurs régionaux, nationaux et internationaux. Dans quelles conditions reviendront-ils ?

Salle de classe, Maison d’Izieu © Studio Érick Saillet

Pendant le confinement, on a fait l’éloge du numérique. Visioconférences, visites virtuelles, événements en direct sur les réseaux sociaux, activités pour petits et grands à la maison. Mais on a aussi vu les limites du numérique : comment faire l’expérience d’un lieu comme la Maison d’Izieu, comment respirer l’air de la montagne, entendre les oiseaux et les cloches des vaches, sentir le vent sur son visage ? Comment appuyer son pied sur le petit escalier grinçant menant aux chambres, comment regarder de près les dessins des enfants dans le réfectoire ? Comment visionner les archives audiovisuelles du procès de Klaus Barbie, disponible seulement sur place ? « Comment envisager une année sans la commémoration du 6 avril ? », s’est interrogé Dominique Vidaud, le directeur du Mémorial. « Depuis 1946, c’est la première fois que la commémoration de la rafle n’a pas eu lieu ».

Le numérique est un substitut temporaire, mais pas une panacée. S’il permet la consultation de certains documents d’archives à distance, ou la commémoration virtuelle de la déportation du 6 avril 1944, le numérique ne remplace pas une visite sur place, avec l’expérience du lieu de vie qu’était la maison d’Izieu, la visite du musée et de ses expositions permanente et temporaire, une plongée dans ses archives, ainsi que les ateliers pédagogiques et activités culturelles. C’est qu’une visite « en présentiel », comme on dit aujourd’hui, comporte une dimension émotionnelle, sensorielle et corporelle qu’aucun logiciel ne pourra égaler et, surtout, un moment de partage, d’échange, d’apprentissage qui est basé sur le contact humain.

Si la plupart des lieux de mémoire font face aux mêmes difficultés, la Maison d’Izieu, l’un des trois lieux de la mémoire nationale des victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l’humanité commis avec la complicité du gouvernement de Vichy, fait face à trois défis particuliers : sa situation géographique, sa dépendance envers le public scolaire et sa structure d’association. Sa situation géographique d’abord : elle est magnifique, en pleine nature, mais elle est, justement, en pleine nature. À 35 minutes de Chambéry, une heure de Lyon, Grenoble ou Annecy : Izieu est une visite en soi. On n’y passe pas par hasard. On fait le choix de s’y rendre, de prendre la route qui monte et qui serpente. À partir du 4 juillet, nous pourrons choisir d’y aller, de découvrir ou redécouvrir ce lieu de vie, de mémoire, de transmission. À partir de cette date, la Maison d’Izieu a d’autant plus besoin de vous, de nous, de tous ceux qui peuvent s’y rendre. Les règles sanitaires seront en place pour recevoir 72 personnes par jour, en rotation, moins de la moitié des chiffres habituels pour l’été. Mais c’est aussi que le retour des groupes scolaires risque d’être reporté à la fin 2020, ce qui est une nouvelle terrible pour une institution qui fait d’abord œuvre de transmission et d’éducation, accueillant des centaines de collégiens et lycéens chaque jour, pour des ateliers pédagogiques sachant prolonger la réflexion au-delà du contexte historique et géographique d’Izieu. Pour Dominique Vidaud, « 2020 aura été une année sans printemps : le printemps est à la Maison “le temps des moissons” pour les gros projets menés dans les établissements scolaires et mûris tout au long de l’année. Sept mille jeunes ont été privés de printemps ! »

Quand reviendront-ils, ces jeunes ? Quand pourront-ils se réunir en groupe de trente ou quarante, reprendre des autocars, examiner ensemble des documents historiques, discuter des questions de responsabilité citoyenne, de justice et de mémoire ? Les équipes de médiation et d’accueil du musée-mémorial d’Izieu sont au chômage partiel. Quand pourront-elles reprendre leurs activités à plein temps ?

Le troisième défi de la Maison d’Izieu, c’est son statut d’association qui doit, en cette période de fragilisation, absolument élargir sa base d’adhérents. Car ce sont les adhérents – vous, moi, nos amis, nos connaissances – qui doivent montrer leur soutien, aussi modeste soit-il, à un lieu d’histoire, de mémoire et de justice, qui voit sa mission d’autant plus renforcée à l’heure où des confinés éructent leurs délires complotistes, antisémites et racistes. Car si la mémoire est ancrée dans le passé, elle s’exprime au présent. Elle est un pont entre l’histoire et l’actualité, elle résonne à travers les années.

À l’heure du recommencement et de la réouverture prudente, Dominique Vidaud appréhende un peu la reprise : « Et si personne n’était au rendez-vous en juillet ? »

Montrons que nous sommes avec Izieu : en devenant adhérent, en nous y rendant, en y amenant nos parents et nos amis, en contribuant ainsi à tisser le fil de la mémoire.

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